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1er septembre 1915 - Gerbéviller - Marchandes dans les ruines

#47.1

La première guerre mondiale dura plus de quatre ans et si elle marqua profondément de son empreinte cette période, la vie et notamment la vie à l'arrière, loin du front, continua.

La vie continua donc, malgré tout, au rythme des nécessités et des circonstances du quotidien, dans cette France où les échos lointains de la guerre ne parvenaient que par les articles de presse, le courrier censuré des hommes absents, les récits d'un autre monde des rares permissionnaires revenant pour quelques jours au pays, et l'annonce de ceux qui ne reviendraient pas.

Ces français de l'arrière furent évidemment affectés par la guerre mais à des degrés divers. Principalement dans les villes, le ravitaillement était rendu plus difficile, les prix grimpèrent, des rationnements furent  institués, des pénuries se firent sentir … L'économie était alors prioritairement tournée vers les besoins de la guerre …Directement ou indirectement, beaucoup travaillaient pour ou à cause de la guerre. Et pour faire la guerre, il fallait de l'argent, beaucoup d'argent ! L'état, jouant sur  la corde patriotique, lança une série d'emprunts auprès de la population invitée à échanger ses objets en or contre des billets de banque et à placer son épargne pour financer la victoire à venir. Mais la guerre dura, et il fallait toujours plus d'obus, de canons, de mitrailleuses …Il fallut trouver des nouvelles ressources. L'impôt sur le revenu dont le principe avait été acté en 1914  et fut mis en place en 1916 ; une taxe sur les objets de luxe fut instauré …La dette publique fut multiplié par six en France en 4 ans ; la valeur du Franc français fut divisée par cinq. La France, et les détenteurs d'emprunts nationaux se retrouvèrent dans une situation financière très dégradée au  sortir de la guerre. Dès lors, la revendication « l’Allemagne paiera !» s'imposa comme une évidence.

En dépit des souffrances psychologiques liés à l'absence, la séparation ou la disparation de proches, de l'adversité liée aux conditions matérielles de l'existence, subsistèrent, même au milieu des ruines, des instants comme hors de ces temps troublés. Ici, des enfants font la queue devant l'étal de la marchande de friandises alors que leurs mères s'attardent sur des articles de linge de maison. Seule peut-être, la mine grave, l'air songeur, la tenue sévère de la jeune femme au centre de l'image, nous renvoient à la fragilité de ce moment soustrait à la guerre.

11 mai 1916 - Paris - Magasins du Printemps. Le public devant les étalages.

#47.2

Les rigueurs des temps de guerre ne sont jamais uniformément réparties. On voit ici, en pleine guerre, un attroupement d'élégantes parisiennes qui peuvent paraître bien futiles autour d'une vente de chapeaux à la devanture d'un grand magasin.

Au sein de l'armée elle-même, les situations des uns et des autres n'étaient pas comparables.

Ainsi, pour qu'une armée fut en ordre de marche, il fallait aussi bien des hommes en première ligne  que d'autres assurant des tâches d'intendance. L'artilleur pouvait passer pour moins exposé que le fantassin ; de même le servant de pièces de gros calibre pouvait apparaître comme privilégié par rapport à ceux de canons moins puissants et donc plus près du « feu ». Au long de la ligne de front, il y eût des secteurs très calmes et d'autres beaucoup plus dangereux …Ainsi, « l'impôt du sang » fut-il, à tord ou à raison, perçu comme inégalitaire. On dénonça, on stigmatisa de réels ou d'imaginaires « embusqués » auxquels on fit même officiellement la chasse pour ne pas refroidir l'ardeur des courageux défenseurs de la patrie. Des telles accusations, infondées mais non sans arrières-pensées politiques, perdurèrent après-guerre  ainsi Léon Blum et Roger Salengro en furent-ils victimes.

La guerre fut aussi un terreau fertile pour les opportunistes, les profiteurs en tout genre. Les fabricants et marchands d'armes furent les premiers suspectés. « Quand l'obus va, tout va ! » titrait l'humanité en février 1917 constatant que « les malheurs du temps n'ont pas moralisé les affaires ». Par exemple, un dessin de presse mettait en scène un industriel échangeant quelques mots avec un soldat; ce dernier lui faisant remarquer: « bigre, vous gagnez 10 000frs par jour à fabriquer des grenades, vous savez ça rapporte moins de les lancer »

Les pratiques de certains basculèrent dans la fraude et la tromperie. On signala les agissements d'escrocs qui, se faisant passer pour des officiers, effectuaient des quêtes au profit d’œuvres fictives. Un marché noir clandestin se développa; des « mercantis », « accapareurs », « affameurs » spéculaient sur les prix pourtant fixés par la loi, se livraient à des trafic de marchandises (vins, farine, viande…) et s'enrichissaient.

Mais, les dérives les plus méprisables eurent lieu après guerre; des individus sans scrupules abusèrent de la détresse de famille en deuil à la recherche des dépouilles de leurs proches disparus.  Ainsi, eurent lieu des milliers d'exhumations aussi hasardeuses qu'illégales. Ce scandale est l'un de ceux qui constituent la toile de fond du roman de Pierre Lemaître, « Au revoir la-haut » prix Goncourt 2013.