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Discours prononcé par Monsieur le Maire, Rudy Elegeest, lors de la commémoration de l'Armistice, le 11 novembre 2022

Mesdames, Messieurs, chers enfants de l’école des Provinces 

Depuis des dizaines d'années, notre cérémonie revêtait un caractère essentiellement mémoriel. Elle était tournée vers un passé de plus en plus lointain. Et, à mesure que le temps s’écoulait, à mesure que disparaissait les témoins directs des deux derniers conflits mondiaux, la guerre entre états souverains était progressivement reléguée au rang d’archaïsme.

Notre vieux continent si cruellement marqué dans son histoire par ce fléau pensait l'avoir écarté de son sol. Après bien des traités déchirés, après bien des accords bafoués, après bien des assemblées impuissantes, il lui semblait qu'enfin la raison, le dialogue, la sécurité des populations l'avaient emporté sur la force, la volonté de puissance, et le mépris des vies humaines.

Ce qui n'était qu'une espérance en 1945, s'est depuis patiemment construit, non sans écueils à partir d'un noyau singulier la France et l'Allemagne, celles-là même des nations Européennes que les guerres, les plus meurtrières qui aient été, avaient le plus déchirées !

Et l'Europe occidentale, entité primitivement géographique s'est petit à petit muée en une union supra-nationale, en une communauté de 450 millions d'Européens. En dépit des tiraillements inhérents à toutes les entreprises humaines de grande échelle, la route d'un futur pacifique nous semblait promise et la guerre repoussée aux régions du Monde qui n'avaient pas su encore accomplir ce travail de maturation politique.
 
Aujourd'hui hélas, nous en sommes peut-être moins sûrs ! Ce que nous voyons se dérouler sous nos yeux entre la Russie et l'Ukraine ébranle nos convictions ; nous avons l'impression d'un tragique retour en arrière.

Au cours des deux conflits mondiaux, toutes les prétendues règles de la guerre ont été bafouées : mainmise sur les ressources civiles, navires de commerce torpillés, gaz de combat employés, villes ouvertes bombardées, otages fusillés, civils massacrés, populations soumises, asservies, déportées… Cette brutalisation couplée à l’amplification des moyens de guerre se traduisirent par des destructions inédites ; l'instrumentalisation de la violence semblait avoir atteint son comble !
  
Au terme de la guerre 14-18, le 11 novembre 1918, les territoires traversés par la ligne de front sont ravagés ; certaines communes ont été rayées de la carte ; 660 000 habitations ont été touchées ; 33000 kilomètres de routes n'étaient plus praticables, 20000 établissements industriels détruits, trois millions d'hectares de terres agricoles incultivables… Un journaliste sportif Victor Breyer couvrant le premier Paris-Roubaix d'après-guerre, qualifia d'Enfer du Nord les paysages d'apocalypse que traversait la course.
 
Ces chiffres nous évoquent évidemment d'autres chiffres plus actuels révélant l'immensité du drame humain en cours.
 
En France, dès 1919, soutenue par une énergie retrouvée, financièrement appuyée par les réparations de guerre et le travail des prisonniers, la reconstruction s’opéra efficacement effaçant, en surface, les traces du conflit. Mais que de dommages persistants dans les esprits où la paix peinait à trouver son chemin même si certains y œuvraient en vain. L'allemand Gustav Stresemann et le Français Aristide Briand reçurent le prix Nobel de la paix en 1927. On sait ce qu'il adviendra ensuite !
  

Inutile de rappeler l'ampleur monstrueuse des destructions causées par la seconde guerre mondiale jusqu'à leur point d'incandescence à Hiroshima et Nagasaki. Leurs traces ont presque intégralement disparu depuis longtemps. Mais affectés par ces tragédies, quels troubles persistèrent et persistent encore dans les esprits ?

En 1945, Berlin est pratiquement rasé ! Les Trümmerfrauen (femmes des ruines) déblayaient les gravats avant que ceux-ci soient entassés dans les forêts avoisinantes formant des collines artificielles appelées Schuttberg.

La Teufelsberg (la montagne du Diable) en fait partie, mais elle a une histoire particulière. Cette colline recouvre une université nazie inachevée conçue par Albert Speer. Les Alliés ont essayé d’utiliser des explosifs pour la détruire mais elle a résisté. Il s’est avéré plus rapide de la recouvrir de 12 millions de mètres cubes de débris.
   
Pourtant, sous toutes les ruines relevées, sous toutes les villes reconstruites, sous toutes les terres replantées, sous tous les cimetières abandonnés, le long de toutes les frontières redessinées, comme sous la colline de la Teufelsberg, sommeillent toujours les fantômes du passé.
 
Pire, ils semblent s'être réveillés.
 
Nous assistons en effet, presque incrédules, au déploiement de toute la panoplie des stratagèmes, ruses et manipulations que la clique au pouvoir d'un état totalitaire use pour mettre un pays à feu et à sang et entraîner une grande partie du monde dans une spirale de tensions. Tout cela est bien réel même si cela semble d'un autre âge.

Les prétextes changent, les moyens changent, les acteurs changent, les paysages se cicatrisent mais les ressorts profonds semblent être restés les mêmes ! 
Nous voilà replongés dans ces interrogations fondamentales sur notre nature profonde :  
Pour quelle raison la civilisation, aussi évoluée soit-elle, abrite-t-elle en son sein la barbarie ?  
Par quel mystère la raison, le savoir et la morale ne vont-ils pas de pair ? 
Pour nourrir notre réflexion, nous nous devons de regarder avec lucidité, objectivité et franchise notre histoire…

N'enterrons jamais notre passé, osons le regarder les yeux dans les yeux dans la crudité de sa vérité. Ces cérémonies en sont peut-être l'une des occasions !
 
Gardons cet esprit d'exigence, d'objection constructive vis-à-vis des pouvoirs, exerçons par l'éducation, par la formation notre esprit critique. N'est-ce pas là la condition première de notre liberté. Soyons de ceux qui acceptent le pluralisme et refusent l'autoritarisme ; soyons de ceux qui se nourrissent du débat et ne cèdent ni au prêt-à-penser, ni aux discours simplistes ou réducteurs.
 
Voilà peut-être les principales vertus que nos démocraties ont toujours à défendre. Et si ici le temps a fait son œuvre, si beaucoup de larmes se sont asséchées, si les ruines ont été effacées de nos paysages, ailleurs hélas, aux bordures de nos cartes et au présent, des villes, des villages sont détruits et des larmes comme celles qui ont coulé jadis autour de ce monument, inondent les visages défaits de nouvelles et nombreuses victimes de guerre...