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Juillet 1915 - La Neuville au Pont - Chevaux blessés par le bombardement du 20 juillet.

#12.1

Au soleil couchant, la tête basse, empreint d'une pesante lassitude, ce cheval pommelé a l'encolure blessée reprend quelques forces. L'angle de prise de vue pourrait nous faire croire qu'il fait corps avec son congénère qui, devant lui, penche la tête.

La guerre est l'ennemie de tout ce qui vit, sans distinction !

A la ville, aux champs mais aussi à la guerre, les chevaux, les mules, les ânes demeurent, à l'époque, une composante essentielle de la logistique. Comme les hommes, ils sont massivement mobilisés dès août 1914. On a besoin d'eux pour déplacer les pièces d'artillerie légère, pour ravitailler en munitions les unités dispersées le long de la ligne de front, pour trimballer les cuisines roulantes… Là où les engins motorisés ne passent pas  encore, l'animal, malgré les creux, les cailloux, la boue, trouve un chemin. 

En arrière-plan des champs de bataille, des milliers de chevaux vont et viennent, nourrissant les hommes et leurs machines de guerre … Leur sort n'est alors pas différent de celui de ces hommes … Ils vivent les mêmes peurs, les mêmes supplices, les mêmes blessures, les mêmes morts.

On estime que, côté Français, plus d'un million d'équidés périrent durant le conflit …

Un canonnier, Paul Lintier, écrit en 1914:  « Les chevaux sont encore plus las que les hommes... Beaucoup sont blessés ... presque tous boitent, endommagés par des prises de longe ou par des coups de pied reçus durant les nuits où, à bout de forces, les garde-écurie s'endorment. Rarement dételés, jamais déharnachés, les traits, les culerons, les croupières surtout leur ont fait de grandes plaies couvertes, tout le jour, de mouches et de taons. Cavalerie misérable, affaiblie encore, comme les hommes, par une incessante diarrhée ! »

Céline, le cuirassier Ferdinand Destouches, a relaté son expérience militaire dans « Voyage au bout de la nuit ». Il parcourt, le 25 août 1914, plus de 60km à cheval; il écrit: « Mon cheval... il n’en avait plus de dos ce grand malheureux, tellement qu’il avait mal, rien que deux plaques de chair qui lui restaient à la place, sous la selle, larges comme mes deux mains et suintantes, à vif... On était bien fatigués nous-mêmes, avec tout ce qu’on supportait en aciers sur la tête et sur les épaules.»

20 novembre 1916 - Herbécourt - Route de Flancourt et Belloy. Cadavres de chevaux tués pendant un ravitaillement de nuit.

#12.2

A un siècle de distance, la guerre de 14-18 pourrait apparaître comme un récit épique débordant de figures d’héroïques, d'images pittoresques, de visages et de mots d'autrefois Mais, si nous savons que la guerre a tué par légion, la mort érigée en monument, gravée dans la pierre, nous préserve de la vérité de la mort des hommes.

Les albums Valois ne nous épargne rien; même si on sent dans le regard des  photographes une certaine gêne, une certaine retenue, la mort, surtout celle d'Allemands, y est photographiée, documentée … elle faisait, comme le reste, partie du quotidien de cette guerre.

Y-aurait-il une forme d'hypocrisie à évoquer en image la vie des hommes en guerre sans  avoir le même souci de fidélité aux conditions de leur mort ? Je ne sais pas mais je me contenterai, après avoir souligné le sort commun des soldats et de leurs chevaux, de cette image de chevaux morts, avalés, comme bien des hommes, par cette terre qui, de nourricière et devenue meurtrière !

Photos - Albums Valois -  Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)