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Mars 1917 - En tranchée, pendant un bombardement par obus asphyxiants.

#24.1

De tout temps, les instances militaires ont tiré parti ou suscitaient le développement, pour leurs propres usages, des sciences et techniques. La chimie n'y fit pas exception !

Déjà lors de la guerre de Crimée ou celle de Sécession, on envisagea d'utiliser des obus remplis d'oxyde de soufre avant d'y renoncer pour des raisons morales et techniques. Lors de la guerre de Boers (1899-1902), les britanniques utilisèrent des charges explosives répandant des vapeurs toxiques. Une première controverse s'engagea alors quant à l'usage militaire de gaz nocifs et  les conventions de La Haye de 1899 et 1907 interdirent l'utilisation de projectiles contenant des gaz asphyxiants ou toxiques.  

Ainsi, lors de la guerre 14-18, ne sont utilisés dans un premier temps que des grenades lacrymogènes jusqu'à cette journée du 22 avril 1915. Au nord d'Ypres, les allemands installèrent une batterie de 5730 bonbonnes de chlore devant les positions tenues par les troupes françaises. A 17h, sous une légère brise d'est, le gaz fut libéré formant un épais nuage gris-vert enveloppant les tranchées et déclenchant la panique dans les rangs Français. 

Cet interdit levé, de part et d'autre, on fit assaut d’ingéniosité pour rendre l'emploi des armes chimiques plus précis et leurs effets plus meurtriers. Parallèlement, on chercha les moyens de parade les plus surs: masques et lunettes de protection …Pour lutter contre le chlore gazeux, les soldats de la 1ere Guerre Mondiale ont commencé par uriner ou mouiller avec un mélange de bicarbonate de soude dilué dans de l’eau des chiffons placés sur leur visage. Comme dans nos piscines, l’ammoniac contenu dans l’urine réagissait avec le chlore en produisant des chloramines et limitait ainsi les effets du gaz.   

La diffusion des nappes de gaz au sol s’avéra assez aléatoire car très dépendante des conditions atmosphériques.  On conçut alors différents types d'obus chargés en gaz de combat. Et dans les laboratoires militaires, des bourreaux en blouses blanches  s'activèrent à élaborer de terrifiantes mixtures capables de se répandre en nuages empoisonnés. 

A partir de leurs formules savantes, on produisit des suffocants (chlore, phosgène, chloropicrine) qui agressent les voies respiratoires et provoquent des lésions pulmonaires entraînant la mort; on mit au point des vésicants (ypérite, gaz moutarde) qui provoquent des brûlures au contact de la peau, des yeux et des poumons. Pour forcer les victimes à ôter leur masquer, on y associa des sternutatoires  déclenchant des vomissements et des irritations de la muqueuse nasale. Et pour parachever cette panoplie diabolique, on leur associa également de puissants toxiques comme l’acide cyanhydrique, connu sous le nom de vincennite, qui après avoir pénétré la peau, atteint le sang et provoque une mort par paralysie de l'appareil respiratoire. Après guerre, il fut utilisé à la destructions de ravageurs et sera, plus tard, le composant principal du Zyklon B. 

Mai 1918 - Forêt d'Apremont - Soldats sortant d'une conférence dans la chambre à gaz.

#24.2

Pour s'entraîner au port des masques à gaz et les tester dans des conditions réalistes, furent organisées pour les soldats des sessions de formation comprenant un passage dans une « chambre à gaz », c'est le terme utilisé à l'époque. Rétrospectivement, on frémit quant au devenir de ces expérimentations quand celles-ci resurgiront dans l'esprit obscurci des suppôts du régime nazisme qui, eux-mêmes, avaient vécu la guerre de 14. 

L'indétermination des cibles, le caractère insidieux, sournois, lâche, des attaques aux gaz et la nature chronique des atteintes physiques qu'elles engendraient, marquèrent durablement l'ensemble de la société d'autant que des masques à gaz furent massivement distribués aux civils aux périphéries des zones de combats. 

En avril 1916, l’abbé Amicel, soldat- brancardier affecté au bureau des entrées d'un hôpital,  témoigne  : « Pauvres gazés ! Si vous les voyiez ! On est obligé de les déshabiller complètement de tous leurs habits, les doucher, les traiter, leur donner des vêtements de rechange pour les conduire par la main, comme des aveugles qu’ils sont presque tous. C’est aux yeux surtout qu’ils sont atteints. Ils ont la figure et les yeux brûlés et rouges, le nez qui coule, la poitrine qui tousse, l’estomac qui est en feu avec des vomissements violents [...] Quel raffinement de barbarie ! »

Photos - Albums Valois -  Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)