#27.1
Dès août 1914, les campagnes se vident. Les hommes sont appelés sur d'autres champs, ceux où se livrent des batailles. Malgré l'angoisse permanente de l'arrivée du maire ou de l'instituteur en habit du dimanche, la mine défaite, porteur de mauvaises nouvelles, leurs compagnes se doivent d'assumer la responsabilité de l'exploitation agricole privée de ses bras les plus solides !
D'ailleurs, les pouvoirs public avaient très bien compris l'enjeu déterminant que représentaient le maintien de l'activité et donc la production agricole. Dès le 7 août 1914, le président du conseil , René Viviani, lance un appel « aux femmes de France pour la moisson »:
« Debout, femmes françaises, jeunes enfants, fils et filles de la patrie ! Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! Il n’y a pas dans ces heures graves de labeur infime. Tout est grand qui sert le pays. Debout ! À l’action ! À l’œuvre ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde ! »
Ernest Pérochon, instituteur puis écrivain de la ruralité, prix Goncourt 1920, livre, dans son roman « Les Gardiennes » un rare témoignage du rôle des femmes, patronnes ou domestiques, des anciens détenteurs de l'expérience, des enfants plein de vigueur pendant la grande guerre.
Aux premières pages du livre, il écrit, à propos d’Hortense, la « Misangère », mère inquiète du sort de ses fils soldats et désormais aux commandes de la ferme du Paridier:
« il lui semblait juste de durement peiner parce que les autres souffraient et que le travail est frère de la souffrance ; mais surtout, les hommes s'acharnant aux œuvres de destructions et de mort, la tâche première des femmes [...] est de conservation […] : gardiennes du foyer, des maisons, de la terre, des richesses, […] gardiennes des ordinaires vertus […] , gardiennes de douceur et de fragiles beautés.»
Xavier Beauvois (auteur du film « Des hommes et des Dieux ») a adapté ce roman à l'écran en 2017 avec dans les rôles principaux Nathalie Baye et Laura Smet.
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Une autre artiste, Axelle Red, a écrit une chanson « encore un été pour rien » exprimant avec une profonde sensibilité la condition de ces femmes, leur vie s'épuisant aux travaux de la terre, leur cœur en proie aux morsures de l'absence (https://youtu.be/pd79cFfAHXg):
« Ici , encore un été va venir
Pour rien
les blés vont grandir ,
Sans lui
les blés vont murir, et elle va déjà un peu vieillir,
Pour rien, sans lui ,
ici, la guerre est si loin »
La participation des femmes à l'effort de guerre souleva naturellement la question de leur droits civiques dont le droit de vote dans « une France qui retarde » par rapport au reste du monde.
Ferdinand Buisson, député du Pas de Calais, en était l'un des plus fervents défenseurs, faisant « une large confiance aux recrues du suffrage universel » et voulant « les faire contribuer le plus et le plus tôt possible au service de la république » comme il le note dans un rapport parlementaire en 1906.
Un projet de participation et d'éligibilité des femmes aux scrutins municipaux est adopté par la chambre le 20 mai 1919, mais hélas rejeté par le sénat. Il fut par la suite enterré par la chambre dite « bleu horizon » sortie des urnes en novembre 1919. Il faudra attendre encore 25 ans, au lendemain de la libération, pour qu'elles obtiennent enfin ce droit.
Photos - Albums Valois - Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)