#31.1
Les médiocres ragoûts de la roulante, les conserves au goûts indéfinissables, le pain rassi s'accompagnent d'un quart de vin ou d'une goutte de gnôle. L'alcool devient très rapidement le soutien, le réconfort du soldat qui, sans chercher l'ivresse, y trouvait de quoi éloigner les idées noires, et échapper à son quotidien. D'ailleurs, la ration délivrée aux hommes de troupe ne cessa d'augmenter au fil du conflit ; elle passa d'un quart de litre à un litre par jour.
Même auprès de buveurs de bière ou de cidre, le vin, picrate, pive, pinasse, picmuche, fuchsia, rouquin, rouginet ou gros bleu comme l'appelaient les poilus, devint indispensable au maintien du moral des troupes. André Bridoux dans « souvenirs du temps de morts » écrit « l'homme, tout comme un sac, ne tient debout que s'il est plein ! ».
Acheminé d’Algérie par les « cargos pinardiers » accostant à Sète ou issu des vignobles du sud, le vin est transporté en vrac par convois ferroviaires jusqu’à la zone des armées. Il s’agit d’un vin rouge de qualité très médiocre, tantôt âpre, rêche, raboteux, tantôt aigrelet, piquant. Souvent dénigré par les soldats, qui, faute de mieux, s’en accommodent, le pinard frelaté, bromuré selon certains, trafiqué est un vin rude, bourru, couramment coupé.
On voit ici, sur la photo, une opération de transvasement entre des grosses barriques et de plus petits tonnelets.
Contrairement à l'absinthe, prohibée en 1915 car désignée comme responsable de l'alcoolisme, le vin est perçu comme naturel, hygiénique voire anti-microbienne !
Même si de nombreux jeunes gens se mettent alors à boire et hélas garderont cette habitude après-guerre, le vin est « intouchable ». Devenu boisson nationale, fruit de la terre de France, rouge comme le sang versé de ses enfants, on l'intronise « Saint Pinard, général Pinard ou Père Pinard ». Et on le chante à tue-tête en levant son verre :
« Le pinard c'est de la vinasse
Ça réchauffe par où c'que ça passe,
Vas y bidasse, 1, 2, remplis mon quart, 3, 4,
Vive le pinard, vive le pinard. »
A l'âge de 107ans, Ferdinand Gilson, vétéran de la première guerre mondiale qui avait appris l'allemand sur le tard après-guerre, entonnait encore avec entrain cette chanson devant les caméras de télévision.
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De même, pour lutter contre l'ennui, pour combler le vide de ces heures interminables passées à attendre, les soldats fument. Le général Pershing, commandant du corps expéditionnaire américain répondit à question « de quoi avez-vous besoin pour gagner cette guerre ? » : « du tabac autant que des balles».
Très rapidement dans les tranchées, la cigarette supplanta la pipe ; plus facile à tenir au sec que la blague à tabac, plus pratique à allumer et éteindre, et à échanger entre camarades.
Non seulement les cigarettes faisaient partie de la ration des soldats mais les compagnies de tabac encourageaient les familles, et les organismes sociaux, à envoyer dans leurs colis des cigarettes aux soldats sur le front ou prisonniers.
Non seulement la guerre amena une augmentation dans la consommation de tabac mais aussi dans la manière de le fumer. Alors que le tabac pour pipe était trop irritant pour l'inhaler, ce n'était plus le cas du tabac à cigarette beaucoup plus doux. Il pouvait être aspiré dans les poumons avec les effets nocifs en conséquence. Avant la première guerre mondiale le cancer du poumon était une maladie encore assez rare.
Ici, des soldats achètent au guichet de la coopérative de leur compagnie, leur provision de tabac … Observez qu'ils pouvaient même s'offrir des cigares : des picaduros !
Photos - Albums Valois - Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)