#33.1
D'autres secteurs du front connurent, dès le début des hostilités, un changement de situation inverse. Certaines localités alsaciennes passèrent, à la faveur des premières offensives, sous le contrôle des autorités militaires Françaises. La ville de Dannemarie, renommée Dammerkirsch après la défaite de la guerre de 1870, et l'annexion de ces territoires par l'empire Allemand, était de celles là.
Dès lors, de ce côté là, même s'il est alors bien difficile de faire la distinction entre l'Alsacien et l'Allemand, on tenta de gommer les influences par trop germaniques. Dans les écoles, les cartes de France remplacèrent celle de l'Empire Allemand même si, sur celles-ci, l'Alsace et la Lorraine étaient encore séparées de la France. Sur le tableau noir, on inscrivait à la craie désormais la devise de la république « Liberté , Égalité, Fraternité » et se mirent à circuler ces cartes de propagande à destination des enfants comme celle intitulée « graine de poilu » où un garçonnet se soulage dans un casque à pointe.
Sous le regard martial des officiers Français et l’œil du photographe, on fit défiler les enfants de Dannemarie en bataillon scolaire, porte-drapeau tricolore en tête, calots militaire sur la tête et fusil de bois sur l'épaule tandis que les jeunes filles en costumes traditionnels avec leur coiffe à grand nœud noir et les plus jeunes en costume marin, faisaient des rondes folkloriques sur la place.
Mais peut-être, qu'alors encore, leurs frères, pères ou cousins étaient loin – certains sur le front russe, sous l'uniforme de l'armée du Kaiser! «Qui est l'ennemi au juste ?» Quel tiraillement !
#33.2
Pendant la guerre, l'école continua mais n'échappa pas à l'atmosphère générale. Les énoncés de certains problèmes arithmétiques prirent des tournures de manuel du génie : «78 soldats ont mis 4 jours 1/3 pour faire une tranchée de 180 mètres. Combien 120 soldats mettraient-ils de temps pour faire une tranchée de 250 mètres?». On donna comme thème de rédaction « le canon de 75 »; et comme lignes d'écriture « Ayez toujours la haine des Allemands »...
Comment dès lors, ne pas être imprégné par le poids des événements, d'autant qu'il arrivait que soit annoncé en classe le décès du père, du frère d'un petit camarade; on faisait alors parfois des quêtes pour soutenir les veuves et les orphelins.
Quelles pensées secrètes cachent derrière ce regard fixe (on leur a dit de ne pas bouger) ses jeunes filles sous la surveillance d'une bonne sœur en cornette ? Peut-être, occupaient-elles certaines après-midi à faire de la charpie pour soigner les blessés, à coudre ou à confectionner des colis pour les soldats au front.
Mais l'exercice le plus difficile était sans doute d'écrire une lettre à ce père si loin, si absent dont le visage se confondait maintenant avec sa photo sur la cheminée… L'exercice était plus difficile encore pour le père qui voulait trouver les mots qui lui survivraient dans le cœur de ses enfants … L'exercice était aussi difficile pour le fils soldat qui voulait trouver les mots pudiquement jamais prononcés d'amour filial. L'exercice était difficile encore pour le mari qui voulait, pour sa mie, trouver en lui les mots là où avant, ses yeux, ses bras, ses lèvres lui tenaient lieu de langage.
Grâce à l'école qui leur a appris à traduire leur émotions en mots, ils purent tenir, fragile, un lien entre eux durant l'épreuve !
Tout jeune, Françoise Dolto qui perdit son oncle et parrain à la guerre, écrit en septembre 1915 : «protégez [...] tout les orfelin de la guerre et il y a beaucoup de maman qui ont été chassé des villes des pays et en s’ennalant il sont mort de chagrin en pensant que leur mari est mort ...» .
En octobre 1915, Louise écrit à son mari Jean Déléage :«J’ai pleuré, j’ai tremblé mais je viens de retrouver un peu de calme en m’occupant de te faire le petit paquet envoi de saucisson que tu m’avais dit de faire tous les quinze jours. […]
Je ne peux que t'envoyer un de ces élans de tendresse que tu ressens si bien à distance et te dire plus que jamais combien mon pauvre cœur torturé t’aime et t'envoie de longs baisers.
Caresses des Petits et sincère affection de Pépé qui s’émeut autant que moi des horreurs de votre vie.»
Photos - Albums Valois - Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)