#34.1
La guerre renvoie chacun à un devoir d'ordre supérieur: l'homme au front pour défendre sa patrie, mais aussi son foyer, la femme aux champs ou à l'usine, et l'enfant à son pupitre se préparant à prendre la relève. Les enfants ne furent, ne purent être insensibles, comme l'ensemble de la société, aux discours qui expliquaient, justifiaient et allaient jusqu'à idéaliser la guerre en présentant l'ennemi comme l'incarnation du mal et de la barbarie. Les jeux, les jouets, la littérature et la presse enfantines ne furent pas en reste et s’adaptèrent au nouveau contexte de guerre. Les jeux de l’oie furent mis au goût du jour et rebaptisés « jeu de la victoire » ou « jeu du pas de l’oie des Boches », tandis que les catalogues proposaient de nouveaux jouets : chars, canons, panoplies permettant de se glisser dans la peau d'un fier combattant. On offrit aux jeunes enfants des soldats de plomb , des livres, des abécédaires ou des albums de coloriage évoquant sans équivoque la guerre.
Avec l’allongement de la guerre, les blessés, les prisonniers livrant leur expérience de la guerre, les morts dont on ne puvait accepter la nécessité du sacrifice, la prise de conscience de la symétrie des situations des soldats de part et d'autre, d'autres expressions, plus authentiques, vinrent tempérer les excès de la propagande.
On connait cette réponse pleine de bon de sens et d'humanité d'un poilu à son fils lui demandant de lui ramener un casque d'Allemand. « Imagine », lui écrit-il, « qu'un jeune allemand fasse la même demande à son père et que celui-ci lui rapporte mon casque car j'aurai été tué au combat ! »
Heureusement les enfants même séparés de leur père restent des enfants et les militaires même séparés de leurs enfants restent des "papas". Et quand les uns rencontrent les autres, ils se retrouvent eux-mêmes, oubliant pour un moment, la guerre.
Il en était vraisemblablement ainsi lors de cette journée de concours sportifs organisés par des Écossais de la Black Watch (la garde noire) à Bailleul. Le photographe a saisi le moment précis où le premier de la course coupe la ligne d'arrivée.
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Si pour les enfants, la guerre pouvaient peut-être, à travers les récits qui en étaient faits, avoir des accents épiques, des parfums d'aventure, glorifier des figures héroïques, révéler le courage, la bravoure, la force de ceux auxquels ils pouvaient s'identifier ... elle avait un tout autre visage lorsqu'elle entrait brutalement par effraction dans le cercle familial. La guerre se sont des larmes, celles de des mères, accablées de solitude et d’inquiétude, terrassées par l'annonce fatale; celles, plus inhabituelles, des pères, au jour des retrouvailles lors des rares permissions, des adieux sur le seuil de la porte, à la gare ...
C'est aussi parfois la réalité de la guerre qui vient jusqu'aux enfants et qui ne ressemble pas à ce qu'on a pu leur raconter. Elle pouvait prendre le visage de prisonniers allemands qu'on leur avait dépeints comme des ogres, des monstres à faire peur auxquels ils auraient fallu jeter des pierres.
Et ils ne virent passer que des hommes pales, sales, tristes, abattus qui suscitaient, dans leur misère, bien plus la pitié que la haine.
Les blessés, les mutilés que l'on côtoie qu'ils soient démobilisés ou cantonnés à proximité , témoignaient eux-aussi des réalités de la guerre. Point de preux chevaliers dans des uniformes de parade, mais des hommes diminués qui souffrent, gémissent, crient, des hommes qui n'ont parfois même plus figure humaine !
Dans une singulière inversion des rôles, voilà des fillettes, comme on les voit sur cette photo, donnant sa tartine de pain à ce soldat au visage marqué et aux deux mains prisonnières de gros pansements. Le petit garçon l'aidera ensuite à boire son bol de café.
Photos - Albums Valois - Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)