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17 mai 1916 - Arvillers - Abris et le vendeur de journaux.

#46.1

A l'aube du XXième siècle, la presse connait un véritable âge d'or. Grâce à l'instruction publique, une large proportion de la population a désormais accès à l'écrit. Par ailleurs, le développement des techniques d'impression (la rotative) et de la photographie ont rendu bien plus attractives les publications imprimés. De nouvelles pratiques firent leur apparition : la publicité, les reportages, l'accent mis sur les faits divers, l'actualité. Émile Zola, prophétique, écrit : « l'information a transformé le journalisme, tué les grands articles, tué la critique, donné chaque jour plus de place aux dépêches, aux nouvelles grandes et petites, aux reporters ».

On estime qu'à l'époque, près d'un adulte sur deux, lisait quotidiennement un journal ; leur prix était très abordable de l'ordre de 5 centimes le numéro alors que le salaire journalier d'un ouvrier était de l'ordre de 4 à 5 francs. Par comparaison, le kilo de pain valait alors environ quarante centimes. 

L'offre était large et variée: au premier plan la presse nationale à gros tirage : le petit parisien (le plus fort tirage, près d'un million et demi exemplaire par jour), le temps, le gaulois, le matin « qui voit tout, sait tout et dit tout ». La presse régionale est aussi florissante, l'écho du Nord est le plus diffusé autour de Lille. Il existait aussi une presse à sensation (le petit journal, l'Excelsior) , une presse féminine ( Femina, les modes de la Femme de France,  les Parisiennes ...), sportive ( l'Auto-vélo , puis l'Auto qui deviendra plus tard l’Équipe …), pour les jeunes (l'épatant, la semaine de Suzette, Bécassine, …) , satirique et humoristique (l'Assiette au beurre, le Rire, le Frou-frou) et aussi des revues à parution hebdomadaire comme L'Illustration.

L'abondance et l’extrême variété des publications était aussi favorisées par le régime très libéral qui régit la presse. En effet depuis la loi de Juillet 1881, « tout journal ou écrit périodique peut être publié, sans autorisation au préalable, et sans dépôt de cautionnement ».

Évidemment pendant la guerre, l’appétit d'information était à son comble, on voulait suivre au jour le jour l'évolution du conflit. Mais en temps de guerre, l'information peut-elle rester totalement libre? 

Ici est photographié un petit vendeur de journal effectuant sa distribution quotidienne auprès de militaires à l'arrière du front.  

25 juillet 1915 - Saint Thomas - Au repos.

#46.2

Dans un premier temps, concernant les mouvements de troupe, les pertes militaires et autres renseignements stratégiques, les journaux devaient se contenter des communiqués du gouvernement ou du commandement. Il s'agissait évidemment de ne pas renseigner l'ennemi (des affiches « taisez-vous, les oreilles ennemis vous écoutent » étaient placardées sur les places publiques) , mais aussi de ne pas exercer d'influence négative sur le moral des populations et  de l'armée.

Mais d'elle-même, la presse, majoritairement patriote, déformait le peu d'information qu'on leur livrait, enjolivant celles qui concernaient les actions de l'armée française, minimisant celles de l'ennemi, glorifiant le comportement de nos soldats, vilipendant celui réel ou supposé de ceux d'en face. Envahie de propagande à peine déguisée, et appauvrie par la censure, la presse perdit de sa crédibilité. Par exemple, le comité de censure récusa la légende suivante d'un dessin dans le « petit bleu »: le médecin-chef d'un hôpital militaire annonce « Notez qu’à l’avenir les blessés ne pourront sortir que deux fois par semaine » et l'un des convalescents de rétorquer « Pourtant quand il s’agissait de sortir de la tranchée, nous sortions autant de fois qu’il le fallait »

De nombreux lecteurs n'étaient pas dupes de ce « bourrage de crâne ». En septembre 1915, un nouveau journal « le canard enchaîné » s'érige contre ces pratiques s'engageant ironiquement à  « ne publier que des informations rigoureusement fausses» et brandissant sa fameuse devise « la liberté de la presse ne s'use que si on ne s'en sert pas ! ».  

Pourtant dans un domaine, la censure s’exerça peu : la photographie surtout lorsqu'elle exhibait l'abaissement, la misère de l'ennemi. Le journal « le Miroir » excellait dans l'impudeur et le voyeurisme morbide; il alla même jusqu'à proposer des primes d'un montant extravagant (jusqu'à 30 000 frs) au soldat photographe-amateur qui fournirait le cliché le plus saisissant. Si, pour les français l'évolution de la situation militaire restait très approximative; les horreurs de la guerre ne leur étaient pas cachées même si elles paraissaient étrangement frapper surtout l'ennemi. 

Sur la photo, un soldat profitant d'un moment de calme,  parcourt son journal, ici, « le petit parisien ». 

Photos - Albums Valois -  Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)