#17.1
Si nul n'ignorait les risques inhérents de toute guerre, ni les autorités militaires, ni les responsables politiques n'avaient imaginé devoir faire face à de telles hécatombes sur les champs de bataille. Aussi, dans une certaine improvisation, à proximité des tranchées, des postes de secours situés derrière les lignes, autour des hôpitaux, apparurent d’innombrables cimetières provisoires.
Dans le meilleur des cas, ils jouxtaient les cimetières communaux mais le plus souvent, ils s' installaient là où les hasards de la guerre concentraient les victimes. Dans un premier temps, dans l'urgence, on eut recours, pour les hommes de troupe, à des fosses communes mais très rapidement, les soldats choisirent de creuser des tombes individuelles pour leurs camarades. Leurs emplacements sont marqués par une levée de terre sur laquelle on plante une croix de bois où sont parfois gravés au couteau ou à la baïonnette le nom du défunt, son unité et la date de sa mort. Un officier scrupuleux prend parfois note des positions de ces sépultures de fortune espérant qu'ainsi les corps puissent être, un jour, exhumés et rendus aux familles. Hélas, il arrive que ces lieux d'inhumations soient perdus, oubliés, rattrapés par la zone de combat ou disparaissent sous des avalanches d'obus.
Dans ces conditions, on comprend, la difficulté voire l’impossible restitution des corps aux familles pour une majorité des tués « à l'ennemi ». Parfois même, plane sur le sort de certains un insupportable doute : ce sont les « disparus » !
On comprend qu'avec l'énergie du désespoir, les familles aient tout tenté pour ramener leurs proches auprès d'elles. On sait aussi, hélas, que des profiteurs d'après-guerre, des « mercantis de la mort », les ont lâchement abusés.
Aujourd'hui et probablement encore pendant de nombreuses années, on continuera à retrouver les restes de combattants de 14-18. Parfois, on parvient à les identifier. Alors, près d'un siècle après, avec leurs lointains descendants, leur sont enfin rendus les honneurs qui leur sont dus.
On comprend aussi la nécessite pour « réparer les vivants », d'instituer des lieux de commémorations incarnant l'immensité et l'intensité du deuil. Ainsi, s'érigèrent partout des monuments aux morts, des mémoriaux, des nécropoles …
Cette photo témoigne du soin, de l'application consacrés à l'ordonnancement parfait des sépultures militaires: l'ordre et l'apaisement après le chaos et les cris.
On voit ici la préfiguration d'une partie de l'actuel cimetière militaire d'Abbeville qui compte plus de 1500 tombes de soldats du Commonwealth.
#17.2
En d'improbables « lieux fécondés par les larmes de l'histoire », au détour d'un bois, en plein champs, au bout de routes qui ne mènent nulle part, des régiments entiers reposent pour l'éternité sous la protection du drapeau pour lequel ils sont tombés.
Là, les hommages publics ont pu être prononcés solennellement, là les proches ont pu se recueillir au lieu de la « dernière demeure » du disparu.
Là au milieu et aux côtés de tant de croix blanches, s'élèvent aussi d'autres signes renvoyant à d'autres « credo » d'hommes cependant égaux devant la mort et unis par leur sacrifice !
André Halfon était né en 1887 à Bucarest en Roumanie. Sa famille, israélite, d'origine espagnole, était venue de Turquie dans ces principautés danubiennes avec l'armée du Sultan. Le chef de famille, Salomon, était alors le banquier de l'armée Ottomane. Il s'établit avec sa famille en Valachie dans les années 1830; le prince vassal du Sultan, fit de lui un boyard, c'est-à-dire, un aristocrate de haut rang. Son fils Abraham fonda à Bucarest un établissement bancaire ayant des ramifications en Europe et en Amérique qu'il administra avec ses neveux dont Moise, le père d'André Halfon. Ainsi, au déclenchement de la guerre, André avait-il été envoyé à Paris comme employé de banque. Engagé volontaire, il fut naturalisé Français en 1916, accède au grade de Maréchal de Logis; blessé sévèrement, il mourut à l’hôpital de Courlandan le 20 septembre 1917.
Les siens pouvaient-ils concevoir, après avoir donner leur fils à la patrie qui avait proclamée « les droits de l'homme et du citoyen » en 1798, que, 25 ans plus tard, « la folie criminelle » du régime nazi serait « secondée par des Français, par l’État français » dirigé alors par un maréchal de France que beaucoup considéraient comme le vainqueur de Verdun !
Photos - Albums Valois - Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)