#29.1
On peine à imaginer l’impressionnante logistique nécessaire la gestion d'une armée comptant jusqu'à deux millions et demi d'hommes qui dépendaient entièrement de l'intendance pour se vêtir, se nourrir, s'armer, se soigner, se loger, se déplacer, téléphoner, télégraphier, échanger du courrier ...
Pour que cette gigantesque machine tourne, il fallait de la matière première, des usines, des ateliers, des cuisines roulantes, de la main d’œuvre, des voies ferrés, des trains, des péniches, des camions, des ambulances, des entrepôts, des centres de redistribution (appelés station-magasin), et pour aller jusqu'aux soldats affectés aux postes avancés, des chariots, des mules ou des ânes de tranchées, et au bout de la chaîne des bras chargés de gamelles et de bidons.
Songez à la ration journalière d'un soldat (750 g de pain, 400g de viande séchée, fumée ou en conserve, quelques légumes, du café, du sucre, du sel et un demi-litre de vin). Ajoutez-y la ration de reserve constituée de conserves et de produits non périssables que le soldat ne pouvait consommer que sur ordre si le ravitaillement n'avait pu avoir lieu. Celle-ci est conservée dans le havresac du combattant: 10 galettes de pain de guerre dans un sachet (500 g), des conserves de viande (300 g) ; des fruits secs, du potage déshydraté, du chocolat et une mignonnette de rhum. Et multipliez le tout par le nombre de mobilisés. On atteint des chiffres phénoménaux !
En retrait des lignes de front, les intendants militaires sillonnaient le pays à la recherche de denrées dont ils étaient les clients prioritaires, l'armée installa des centres destinés à couvrir notamment les besoins des troupes: des coupes de bois, des camps de faudeux produisant du charbon de bois, des abattoirs ...
Et aussi comme on le voit sur cette photographie, des laiteries militaires recueillant le lait produit par des troupeaux de vaches rassemblées dans les étables attenantes. Ici, une longue file de "Pierrette au pot au lait" vient déverser le lait fumant des vaches qu'elles viennent de traire ... à la main bien sur, opération à laquelle elles se livrent matin et soir tous les jours de la semaine.
#29.2
Le pain était l'aliment principal des soldats, il fallait donc le produire en quantité industrielle ! On voit ici une installation militaire de dizaines de fours en batterie serrée dont on peut imaginer qu'il fonctionnait sans relâche. Ce pain se présentait le plus souvent sous la forme d’une galette plate réalisée à partir de farine de blé, d’eau, de sel, de ferment, et « pointillée », c’est-à-dire percée de nombreux trous. En 1903, Charles Heudebert inventa un pain longue conservation dont la recette sera reproduite durant la guerre. Il mit également au point un pain qui, trempé dans l’eau, retrouvait toutes ses qualités initiales. Là encore, le ministère de la Guerre s’y intéressa pour ravitailler les Poilus dans les tranchées.
Ainsi donc, la guerre dynamisa la production industrielle de produits alimentaires. Ce fut particulièrement le cas dans le domaine des conserves parce qu'évidemment, à l'époque, on ne dispose d'aucuns moyens de réfrigération ... La conversation des aliments est donc une préoccupation première. Arsène Saupiquet l'aura bien perçu, il déclara à son conseil d'administration dès 1915 : les circonstances de guerre "ont créé dans tout ce qui touche l’alimentation un mouvement d’affaires et une activité de fabrication auxquels notre société, grâce à ses puissants moyens d’action, a pu prendre une large part" comme pour les sociétés Cassegrain, Henaff , Raynal & Roquelaure ... Les plats cuisinés en conserve existaient bien avant guerre, et même par correspondance. On trouvait ainsi au catalogue des conserveries Amieux Frères (toujours mieux) de la tête de veau tortue, de la matelote normande ou de la timbale milanaise ... Tout cela ne faisait pas partie de l'ordinaire du "poilu" auxquels étaient principalement distribué des boîtes de sardines ou de bœuf bouilli (dites boîte de "singe" par assimilation avec leur ouvre-boîte de la marque "le singe").
Photos - Albums Valois - Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)