#37.1
Des régiments de tirailleurs, composés exclusivement de coloniaux, comme des troupes de l'armée d'Afrique (Zouaves, Spahis, …) à la composition mixte, furent engagés dans les opérations militaires. Elles ne furent pas, comme on le pense parfois, sacrifiées comme « chair à canon » même si, lors de l'offensive du chemin des Dames, elles subirent une terrifiante hécatombe.
Les instances militaires, avec l'expérience des Armées d'Afrique, surent tenir une ligne honorable tant aux troupes indigènes; elles veillèrent notamment au respect de leur culture spécifique. Très vite, par exemple, furent instaurés des procédures spéciales à respecter pour l'inhumation des militaires musulmans se souciant notamment qu'un coreligionnaire puisse être présent en de telles circonstances.
De nombreux régiments coloniaux ainsi que des soldats issus de leur rang furent honorés officiellement par des citations à l'ordre de l'armée. C'est d'ailleurs, l'un d'eux, un régiment de tabors marocains qui effectua la plus belle prise de la guerre en capturant le maréchal Von Mackensen !
Qu'ils soient « indigènes » ou « continentaux », les soldats des régiments d'Afrique portaient fièrement sur leur casque Adrian, comme le voit sur cette photo, un croissant rappelant le calendrier lunaire du culte musulman ou encore le pentagramme, symbole de perfection rappelant les cinq piliers de l'islam.
Les régiments actuels héritiers de l'armée d'Afrique, comme le 1er régiment de Tirailleurs d’Épinal ont d'ailleurs conservé dans leurs traditions, ces attributs liés à leur histoire. La Nouba, la musique, du Premier Tirailleurs, arbore une tenue orientale traditionnelle : le boléro bleu azur à parements jaunes, le pantalon bouffant – le « saroual » , la « chéchia » en feutre cramoisie ... Elle défile en présence de Messaoud, son bélier mascotte.
En dehors des nécropoles nationales, il y a bien peu de monuments rappelant l'engagement des troupes coloniales en 14-18. En reconnaissance de cette « dette de sang », l'un d'eux avait été érigé à Reims en 1924 et sa réplique dressée à Bamako dans l'actuel Mali. Il représentait néanmoins un groupe de soldats noirs derrière un officier blanc tenant le drapeau français !
Par haine raciale, ce monument fut démonté par les Allemands dès leur arrivée dans la ville de Reims en mai 1940.
#37.2
Parfois même sous « statut » de militaire, on utilisa, on exploita un nombre important de ressortissants venus des colonies non comme combattant mais comme main d’œuvre.
Ils vinrent se substituer dans certaines usines, sur certains chantiers, aux ouvriers partis au front. Dès lors, ils pâtirent d'une mauvaise réputation, celle « d'embusqués », certains considérant qu'on aurait mieux fait de les envoyer se faire tuer à la place de ceux qu'ils remplacaient.
On s'inquiétait aussi que se nouent des relations trop étroites avec « les femmes blanches » profitant de l'absence de la gente masculine locale; on en vint même à craindre que certains ne repartiraient pas !
Il fallait aussi des bras nombreux et solides pour les besoins mêmes de l'entreprise militaire d'une ampleur considérable !
Les albums Valois regorgent de photos où les coloniaux sont employés à divers rudes travaux participant de la logistique militaire: des Annamites coupeurs de bois dans des exploitations forestières, des Somalis cassant des cailloux pour refaire des routes, des tirailleurs occupés à creuser des tranchées ou à monter des baraquements pour les cantonnements, d'autres déblayant des ruines chargeant, déchargeant des marchandises sur des quais …
Assignés à un travail rebutant, on retrouve, sur cette photo, des Kabyles charretant « des matières » au milieu de tas de cornes de bovins dans un centre d’équarrissage …
Après la guerre, l'immigration de travail demeura fortement nécessaire pour soutenir la reconstruction et le relèvement d'un pays démographiquement sévèrement touché par la guerre.
Dans les années 20 , la France devint la première destination d'immigration devant les états-unis.
Mais, à l'exception des algériens bénéficiant d'une plus grande liberté de circulation, presque tous les coloniaux furent renvoyés dans leurs territoire d'origine. Convergèrent alors vers la France, des belges, des polonais, des italiens pour faire redémarrer les mines du Nord saccagées par les Allemands, des Arméniens éclatés en diaspora après le génocide de 1915, des Russes fuyant le régime bolchévique issu de la révolution d'octobre 1917.
Paradoxalement, la guerre aura été l'occasion d’un immense brassage de populations et de cultures du monde entier, mais a aussi peut-être conduit à une redéfinition de l’Autre proche et acceptable: le « Blanc », préférablement Européen et de l’Autre lointain le plus souvent colonial et « racialisé ».
Photos - Albums Valois - Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)